L'enfer des couteliers


Le Creux-de-l'enfer pris de nuit en juillet 2018.



L'enfer des couteliers


Le Creux-de-l'enfer
Les faits se déroulent en 2017, il y a environ un an. J'avais dix-sept ans. Je prenais des photos seul à la nuit tombée dans un lieu touristique de la ville de Thiers, un lieu appelé «Le Creux-de-l'enfer». Cet endroit est connu de tous les habitants du coin et bien au delà de notre territoire pour son passé coutelier, datant du  Moyen-âge.


Un imposant bâtiment, une ancienne
 coutellerie où résonnaient autrefois toutes sortes de bruits, qui rappelaient que c'est ici que les hommes travaillaient le métal, s'imposait à moi. 

La grande bâtisse était installée au fond d'une profonde vallée, nichée entre la roche et la falaise d'un côté et le torrent puissant de la Durolle  de l'autre. À cet endroit particulier, la rivière forme depuis toujours une grande cascade qui résonne aux alentour. 
Ancienne Usine du May

   
C'est à la nuit tombée, que certaines ruines et anciennes usines de coutellerie sont éclairées par des installations luminaires que la  municipalité a installées au début des années 2000. 


L'usine du Creux-de-l'enfer, est quant à elle illuminée de lumières rougeâtres, un diable projeté sur sa façade, scande ses reflets pour mieux rappeler le passé macabre du lieu.


Haut de la cascade.
Je partais seul pour capturer quelques clichés nocturnes de la vallée et plus particulièrement de cette usine désaffectée. Il faisait très sombre et la Durolle, rivière sauvage, lançait dans la nuit des sons à me glacer le sang. Mon vélo était garé à seulement 500 mètres de ma position et malgré une température relativement basse, voire trop basse pour une belle nuit d'été, mon désir de redécouvrir cet endroit que je connaissais seulement de jour était grandissant à chacun de mes pas. 

C'est vers minuit trente que la forme imposante de ce fameux diable projeté au-dessus de la rivière, sur la façade de l'usine, provoqua en moi une envie irrépressible de le capturer avec mon objectif. C'est ce que je fis, sans hésiter.

A presque une heure du matin, mon téléphone, sans recevoir d'appel téléphonique, lança dans le calme de la nuit et le bruit du torrent, une chanson de Dalida que je ne connaissais pas, même si je connaissais bien l'interprète. Le titre «Pour en arriver là», renforça la peur déjà présente en moi. J'éteignis mon téléphone, soulagé de ce dérangement qui n'avait fait que renforcer en moi le côté glauque de ma visite nocturne.

Quelques secondes plus tard, toutes les lumières de la ville s'éteignirent. Je savais qu'à compter de cette heure précise, la municipalité stoppait toute luminosité sur la commune. Mais j'étais seul dans la vallée, désormais éclairé seulement par la seule lumière de la lune. La Durolle crachais toujours autant de bruits, l'eau se fracassait contre les parois rocheuses au fin fond de cette entrailles à ciel ouvert. J'avais en moi l'envie de rejoindre mon vélo et de rentrer chez moi, loin de ce décor macabre. Je marchais dans un environnement mortuaire sur la route qui suivait toujours cette maudite rivière.

Tout à coup, mes yeux se posèrent sur une usine désaffectée, de l'autre côté de cette eau déchaînée. Une lueur blanchâtre s'imposa, elle provenait de l'intérieur de la ruine. Je saisis mon appareil, ajusta mon zoom optique, afin de voir au plus près ce qu'il en était vraiment de cette apparition dans la nuit.

C'est alors que je vis des ouvriers, tout droit sortis des années 30, qui montaient des couteaux dans cet atelier, fermé pourtant depuis près de 50 années.


Capturer ce moment unique, tel était mon souhait le plus cher, mais ce maudit appareil refusa cette photo que je voulais plus que tout. Le flash se déclencha, mais impossible d'immortaliser ce moment inédit. Mais ce qui se produisit me laissa sans mouvement. Tous les visages des ouvriers se figèrent sur moi. Je compris alors que rien n'était vivant.

Mais au même moment, des gens, semblables aux ouvriers se rapprochèrent de moi, tandis que ceux de l'usine reprenaient leurs tâches. Ces hommes, qui provenaient de l'endroit où j'avais garé mon vélo avaient dans leurs mains des couteaux bien aiguisés, des fusils et des lanternes. Ils se dirigeaient sur moi et je compris alors qu'ils n'étaient pas ici par hasard, et que ma présence les gênaient. 
Je me revois encore aujourd'hui en train de courir au plus vite, en direction de l'usine du Creux-de-l'enfer un peu plus en amont de la rivière, pour me cacher dans un entrepôt désaffecté, qui donnait une vue d'ensemble sur l'usine qui est alors de l'autre côté de la rivière.

J'attendis quelques minutes et toujours dans un noir complet je regardais par la fenêtre pour voir si les lueurs de ces choses éclairées par les rayons de la pleine lune étaient toujours présentes, mais aucune trace n'était visible et elles semblaient même avoir disparues. 
Dans mon champ de vision, une épaisse fumée sortie du Creux-de-l'enfer, alors que tous les luminaires de la ville étaient éteins. Je me rendis compte que le bâtiment en lui-même éclairait les lieux. Au troisième étage, une lueur blanchâtre attira mon regard. Une femme pleurait, le désespoir sur son visage, elle suppliait à une autre personne d'arrêter et n'avait de cesse de répéter: «Tu vas pas en arriver là?». La chanson de Dalida, qui était apparue quelques minutes auparavant s'imposa à mon esprit comme un guide spirituel et je compris la signification de cette apparition musicale au cœur de la nuit. 

La femme semblait s'approcher de force de la fenêtre, debout, face au vide, avec en son fond, la grande cascade et le torrent tonitruant de la Durolle. Avant d'être poussée hors du bâtiment qui l'abritait sans la protéger, elle se tourna vers moi, seule, debout près de la rivière et me lança : «Toi seul connaîtra la vérité!».




Je m'approchais de la rampe de sécurité, aussi vite que mes jambes pouvaient me porter, mais aucun corps n'était visible dans le creux de cette rivière en furie. Les yeux levés vers la fenêtre d'où était tombée la femme, j'aperçus l'autre personne, assise sur le rebord de la fenêtre. Il me regardait fixement. C'était l'homme qui l'avait poussée quelques instants auparavant. Et cet homme c'était moi.


                      Autres photographies disponibles
Un martinaire aux forges Delaire

Le Creux-de-l'enfer à gauche et l'Usine du May à droite

Intérieur de l'usine d'Entraygues

Diable du Creux-de-l'enfer

Passerelle sur la Durolle

Usine du May éclairée

Le Creux-de-l'enfer de jour

L'usine du Faux-martel

Idem.


Zoom sur usine du Faux-martel

Cascade Creux-de-l'enfer de nuit

Cascade et remous Durolle
Grotte sous l'Usine du May





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